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The Blog That Rocked
6 décembre 2014

No milk today

1966, la chanson bubblegum qui sonna le glas d'Herman's Hermits...
 

no milk todayC'est à une plongée en plein Swinging London que je vous invite aujourd'hui. Que ce soit en termes de cinéma, de musique, d'arts ou  de société, l'Angleterre est un phare culturel inaliénable. La culture anglaise a révolutionné le 20è siècle ! Elle l'a influencé plus que toute autre, atteignant son paroxysme dans les années' 60. Londres est, alors, la capitale mondiale de la culture. On parle alors, en musique, de British Invasion(1) pour témoigner de l'omniprésence du rock anglais sur le monde. A cette époque, l'économie anglaise amorce une reprise qui met fin à la longue période d'austérité qui pesa sur les Britanniques depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le pouvoir d'achat s'élargit et les couches les moins aisées de la population ont accès à la consommation. A partir de 1964/1965, au départ de Londres, une forme de contre-culture se met en place, elle amorce une mutation profonde de la société anglaise jusqu'alors très conservatrice. Mary Quant impose la mini-jupe et Londres devient la capitale de la mode, Carnaby Street devient le haut-lieu de la culture underground, la musique pop(2) s'impose avec des groupes comme The Kinks, The Yardbirds, The Moody Blues, The Shadows, The Hollies, The Animals et, bien entendu, The Beatles qui explosent à travers le monde, voire même The Rolling Stones qui s'aventurent, alors, autant dans la pop que dans le rock. Dans le même temps, le cinéma anglais plonge dans sa Nouvelle Vague qui fait la part belle aux univers ultraréalistes et qui préfigure le cinéma social à venir; Michael Caine, Alan Bates, Tom Courtenay, Julie Andrews, Vanessa Redgrave ou Albert Finney deviennent les stars de ce nouveau cinéma européen dont les réalisateurs vedettes (Tony Richardson, John Schlessinger, ken Annakin, Lewis Gilbert...) n'hésitent pas une seconde à introduire le sexe dans leurs films, surfant sur la vague de la libéralisation des moeurs qui se met en place.

Le changement gagne tout le pays et, pendant que la société anglaise négocie le virage, les partisans de la Vieille Angleterre tentent de subsister en conservant leurs valeurs ancestrales et conservatrices. La société anglaise est aussi divisée que dans l'immédiate après-guerre mais, cette fois, c'est le modernisme qui prend le pas sur la conservatisme et l'on assiste à une ouverture sociale dans laquelle les classes les plus aisées se mélangent aux classes moins favorisées. Les masses populaires profitent des trente Glorieuses pour découvrir la consommation, en effet, l'augmentation du pouvoir d'achat réduit le fossé qui séparait encore les classes supérieures (aristocratie, noblesse et haute bougeoisie) et les classes populaires. Concrètement, les classes supérieures se "bohémisent" tandis que les classes ouvrières s'embourgeoisent pour se retrouver autour des mêmes plaisirs et loisirs. L'hédonisme devient une valeur commune, un mode de vie. L'esthétisme se niche dans la mode, dans le design, dans la vie de tous les jours... Les Mods (abréviation de Modernistes), des jeunes issus des classes prolétaires imposent leur style de vie axé sur la fête, la joie de vivre et l'apparence.

Time Magazine donne, en 1966, à ce mouvement le nom de Swinging London (Le Londres qui bouge, qui balance). Une série télévisée, The Avengers (connue chez nous sous le titre Chapeau Melon et Bottes de Cuir), illustre parfaitement le Swinging London; John Steed représentant la haute bourgeoisie déliquescente opposée au modernisme populaire symbolisé par Emma Peel.

L'histoire d'une rupture, drame personnel insignifiant pour les autres

Lancé en 1963, à Manchester dans le centre de l'Angleterre, Herman's Hermits est un groupe formaté (le phénomène n'a donc pas attendu les boys bands des années '90) pour servir la British Invasion. Surfant sur la Beatlemania naissante, Mickie Most, qui produit déja The Animals, entend donner à Herman's Hermits la couleur, le son et le goût des Beatles. Cela fonctionne plutôt bien car souvent les deux groupes sont confondus; en radio des titres du groupe mancunian sont attribués par les auditeurs aux Beatles. Construit autour du chanteur Peter Noone, qui a acquis une notoriété importante au Royaume-Uni pour avoir joué plusieurs saisons dans le soap-opera Coronation Street(3), Herman's Hermits est un groupe de jeunes (ndlr les membres ont entre 16 et 20 ans) qui doit séduire les jeunes. Entre 1964 et 1966, plusieurs titres comme I'm into something good (reprise de Earl Jean), Mrs Brown, you've got a lovely daughter ou I'm Henry the Eight, I'm se classent dans les charts anglais et au billboard américain où EMI a introduit le groupe qui y devient même plus populaire que les Beatles après que John Lennon ait blasphémé en disant que les Beatles sont plus célébres que Jésus(4). Par contre, Herman's Hermits n'a aucun succès en Europe, le groupe passe même totalement inaperçu dans les pays francophones.


1966, en plein Swinging London, alors que ce phénomène socioculturel vient d'être identifié par Time Magazine, Graham Gouldman, un compositeur de Manchester(5), écrit une chanson bubblegum(6) intitulée No milk today qu'il propose aux Hollies. Mais, cet autre groupe de Manchester propose une pop plus rock et refuse la chanson car elle ne correspond pas à ses titres habituels. Pas de lait aujourd'hui, le titre est trop naif pour les Hollies et l'ambiance de la chanson est trop mielleuse pour eux. Et pourtant, à bien y regarder No milk today est moins mielleuse qu'elle n'en a l'air, c'est même plutôt une chanson triste puisqu'elle évoque la rupture d'un couple (My love is gone away - Mon amour s'en est allé). Le message Pas de lait aujourd'hui réfère à la tradition anglaise bien ancrée à l'époque (et toujours présente aujourd'hui dans certains villages) du livreur de lait qui, chaque matin, dépose une ou plusieurs bouteilles de lait sur le seuil des maison. Les vidanges étaient également déposées sur le seuil et le livreur les reprenait en échange des bouteilles pleines qu'il apportait. Si d'aventure un jour il ne fallait pas lait, il suffisait de mettre le court message No milk today sur la porte ou sur le seuil, à l'attention du livreur. Si pour le narrateur il ne faut pas de lait aujourd'hui c'est parce que c'est elle qui le buvait et qu'elle n'est plus là pour le boire... Pour le reste du monde, les passants, le livreur de lait, ce message banal n'a qu'une signification banale, pour lui il prend une ampleur énorme par tout le signifié qui se cache derrière ces quelques mots. Comment les autres pourraient-ils savoir ? Il est seul pour pleurer son amour envolé.

Avec No milk today, Herman's Hermits va, enfin, se faire connaitre dans le reste de l'Europe où la chanson est multidiffusée et se vend bien. Par contre, suprême paradoxe, la chanson n'aura qu'une succès très limité au Royaume-Uni et n'est même pas diffusée en single aux Etats-Unis. Le groupe bubblegum connaitra ensuite un passage à vide de 1967 à 1970 avec l'avènement du rock psychédélique. Trois singles seront enregistrés en 1970, sans succès et Herman's Hermits sera emporté par le tourbillon des seventies.

Une autre interprétation des paroles

Certains ont vu dans le texte de No milk today des allusions sexuelles (le sperme étant parfois appelé milk en argot britannique) un peu à l'image des Sucettes, une chanson bubblegum made in france écrite la même année, que Gainsbourg fit chanter à France Gall. Cette vision triviale de No milk today fut renforcée, quelques années plus tard, par la légende qui disait que Graham Gouldman nomma son groupe 10CC (10 centimètres cubes) en référence à... la quantité moyenne d'une éjaculation. Mais il est peu probable que Gouldman ait délibérement glissé des allusions sexuelles dans le texte de sa chanson...

Herman's Hermits No Milk Today 1966 HQ

no milk today

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(1) le terme est inventé par les médias américains pour qualifier l'introduction massive des groupes anglais aux Etats-Unis
(2) Popular Music abrégée en Pop Music
(3) Coronation Street a été créée en décembre 1960 et existe toujours aujourd'hui. Plus de 8000 épisodes ont été diffusé avec, toujours à l'heure actuelle, un succès d'audience exceptionnel en Angleterre.
(4) "Aujourd'hui, nous sommes plus populaires que Jésus" déclare John Lennon dans l'Evening Standard du 4 mars 1966. Ces propos choque l'Amérique puritaine et dévote des sixties.
(5) qui fondera, en 1972, le groupe 10CC
(6) la Bubblegum Pop est une musique pop ciblée uniquement sur les ados du Swinging London

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