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The Blog That Rocked
16 novembre 2014

Baker Street

1978, un solo de saxo en huit mesures qui change tout...

Baker streetLorsqu'il participe, avec Joe Egan,  en 1972, à la création de Stealers Wheel, Gerry Rafferty a déjà un bagage musical intéressant. Après avoir débuté dans des salles de bal de la région de Paisley, il a rejoint le groupe The Humblebums, en 1969, avant de tenter une carrière solo, deux ans plus tard. Son premier album, Can I have my money back (1971) est un succès local dans le sud de l'Ecosse. Pour cet enfant des milieux pauvres de Paisley, c'est déjà une victoire importante. Joe Egan lui propose alors l'aventure Stealers Wheel qui débute en 1972 par un énorme succès. L'album éponyme s'écoule à un millions d'exemplaires en Europe et aux Etats-Unis. La chanson Stuck in the middle with you fait le tour du monde et propulse le duo écossais au sommet des charts(1). Ce succès aussi inattendu qu'inespéré attise les appétits des producteurs du groupe et de Joe Egan qui ont envie de surfer sur cette vague pour faire de l'argent. Dès lors Stealers Wheels est soumis à un rythme de production effréné couplé à de nombreuses tournées. Deux albums suivent sans toutefois connaitre le même succès que Stealers Wheel. Cela mine fortement Egan et nuit à ses relations avec Rafferty dont la préoccupation principale n'est pas l'argent. Tant qu'il en a un peu pour vivre, ce qui est le cas, la fortune n'est pas une fixation pour l'enfant pauvre de Paisley. A peine le troisième album, Right or wrong (1975) est-il sorti que le duo explose. Les tensions entre Rafferty et Egan sont irrémédiables mais Stealers Wheel est encore lié contractuellement à ses producteurs. Une bataille juridique va s'entamer et durer plus de deux ans... Deux longues années pendant lesquelles Gerry Rafferty ne peut rien enregistrer et commercialiser sans l'aval des producteurs de Stealers Wheel.

La bataille juridique l'oblige à de fréquents déplacements à Londres où il est hébergé chez un ami qui a un appartement sur Baker Street, une rue du district de Westminster, en plein coeur londonien, qui connait une notoriété mondiale par le fait que Sir Arthur Conan-Doyle y a fait résider Sherlock Holmes et le Docteur Watson. Ces deux années sont particulièrement pénibles pour Rafferty qui est réduit au silence musical total et qui trouve dans l'alcool un allié de circonstance. Avec le souvenir de son père alcoolique et violent, Gerry Rafferty parvient à modérer sa consommation en écrivant plusieurs chansons dont une qui évoque, en filigrane, sa déception liée à Stealers Wheel et son dégoût de l'industrie du disque. Probablement un peu naïf, Gerry Rafferty pensait qu'être artiste c'était être libre, que la musique lui offrirait cette vie calme et aisée dont il rêvait mais c'était sans compter sur les obligations contractuelles, les producteurs et la vie de fou imposée par les tournées et les enregistrement.

Le saxo alto de Ravenscroft

Le texte de sa chanson parle d'un homme qui erre dans la rue, perdu dans la ville et totalement désabusé. Il évoque la boisson comme exutoire, l'insomnie et des envies de rentrer à la maison (ndlr à Londres, Rafferty est loin de son Ecosse natale). Puisque son personnage erre dans la rue, la chanson s'intitulera Baker Street, cette rue dans laquelle il vit par obligation et par intermittence. La chanson, résolument pessimiste, se conclut pourtant par une note optimiste (When you wake up it's a new morning. The sun is shinning it's a new morning - Lorsque tu t'éveilles c'est un nouveau matin. Le soleil brille c'est un nouveau matin) car le chanteur entrevoit la fin de ses problèmes juridiques. De fait, à l'automne 1977, le différent juridique avec les producteurs de Stealers Wheel trouve son épilogue et Rafferty récupère son indépendance. Pendant son arrêt forcé, Gerry Rafferty a écrit de nombreuses chansons, il dispose d'assez de matériel que pour graver un album. Le tout est de faire le choix de dix titres. Une chose est certaine, Baker Street sera sur l'album comme le symbole de sa liberté retrouvée. Pas échaudé, il signe un nouveau contrat avec le label américain United Artist qui produit, notamment, Paul Anka, Shirley Bassey, Ike & Tina Turner, Dusty Springfield et Bobby Womack mais qui distribue aussi les albums des Beatles aux Etats-Unis. Il entre en studio en novembre 1977 pour l'enregistrement de l'album City to City dont le titre semble être un clin à ses allers-retours entre Glasgow et Londres pendant la bataille juridique. Baker Street est enregistrée en décembre, elle comprend des ponts musicaux entre les couplets, ils sont prévus pour être joués à la guitare, par Hugh Burns mais Raphael Ravenscroft, qui a notamment travaillé avec Pink Floyd, enregistrait des passages de saxophone dans un studio voisin. Il proposa alors de remplacer les ponts à la guitare par des ponts au saxo alto. Il interprète rapidement les huit mesures du pont avec son instrument et c'est une révélation pour Gerry Rafferty qui estime que cette touche apportera un vrai plus à sa chanson.

Déchéance

L'album City to City sort le 20 janvier 1978, le single Baker Street quelques jours plus tard. Ce titre devient rapidement n° 1 dans plusieurs pays et l'album s'écoule à 5,5 millions d'exemplaires. Le pont au saxo est effectivement une réussite complète qui booste d'ailleurs les ventes de cet instrument partout où Baker Street est diffusée. Baker Street donnera également un regain d'intérêt pour le saxophone dans la musique pop et le rock des années '80 qui feront la part belle à cet instrument. Alors qu'il chante son désabusement de l'industrie musicale, Gerry Rafferty explose les ventes et devient un pion majeur de cette industrie. Ironie, paradoxe ou revanche ? Toujours est-il que ce succès le perturbe au point de le voir plonger de plus en plus dans l'alcool. S'il continue de produire des albums de bonne facture comme Night Owl (1979), Snakes ans Ladders (1980) et Sleepwalking (1982), Rafferty délaisse la scène et refuse des projets avec Eric Clapton et Paul McCartney. Il disparait de la scène musicale jusqu'en 1988 pour tenter de se libérer de son addiction. Son divorce, en 1990, l'entraine plus bas encore ! Il produit quelques albums dans les années '90, plus par envie de travailler que par besoin car Baker Street continue de lui ramener une fortune. Aujourd'hui encore, deux ans après la mort de Gerry Rafferty, Baker Street procure un revenu annuel de 80.000£ à ses ayants-droit.

Miné par l'alcool, Rafferty est hospitalisé d'urgence à Londres en août 2008. Au lendemain de son admission, il disparait de l'hôpital sans rien emporter. On retrouve tous ses effets personnels (vêtements, papiers, argents, montre...) dans la chambre et sa disparition est signalée à la police. Il ne réapparaitre que six mois plus tard par le biais d'un ami qui donne de ses nouvelles, sans préciser où il s'est réfugié. En novembre 2010, Gerry Rafferty est à nouveau hospitalisé dans le Dorset (sud de l'Angleterre). Il ne quittera jamais l'hôpital où il meurt le 4 janvier 2011...

Baker Street reste le chef d'oeuvre de Gerry Rafferty, elle lui aura permis de refaire surface dans une industrie qui l'avait réduit au silence et dans laquelle il se sentait mal à l'aise. Elle aura surtout permis au saxophone de se faire une place dans la pop et le rock... L'idée de remplacer la guitare du pont musical par un saxo fut simplement une idée de génie qui fit de Baker Street que qu'elle est : un tube planétaire !

Gerry Rafferty - Baker Street (Long Version)

baker street

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(1) Stuck in the middle with you connaitra une seconde vie, en 1992, lorsque Quentin Tarantino l'utilisera pour la scène de torture d'un officier de policier par Michael Madsen dans Reservoir Dogs.

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