1980, Trust met en musique le poème de Mesrine qui dénonce les conditions carcérales des prisonniers de QHS...

le mitard

Non, le rock bien lourd n'est l'apanage des anglo-saxons ! La France a aussi généré quelques groupes qui méritent le détour... Dans la seconde partie des années '70, la scène rock française est plutôt bien achalandée avec Starshooter, Magma, Bijou, Téléphone ou, bien entendu, Trust. Fondé en 1977 par Bernard Bonvoisin (chant), Norbert Krief (guitare), Raymond Manna (basse) et Jean-Emile Hanela (batterie), Trust enregistre son premier titre, une reprise de la chanson Love at first feel d'AC/DC adaptée en français, dans le studio Pathe-Marconi de Paris où, au même moment, Les Rolling Stones enregistrent leur album Some Girls. Norbert Krief sympathise avec Keith Richards qui lui présente Bon Scott, le chanteur d'AC/DC, de passage à Paris. Scott est plutôt impressionné par ce groupe français totalement inconnu qui reprend un titre de son groupe. Cependant, Trust est alors sous contrat avec EMI qui a aussi Téléphone dans son box et qui préfère largement privilégier la bande à Aubert car elle a le vent en poupe. Aucune promotion n'est faite autour du premier 45 tours de Trust, Prend pas ton flingue (dont la reprise d'AC/DC, Paris by Night est sur la face B). Le disque est un échec commercial complet et la carrière de Trust est compromise avant même d'avoir pu vraiment commencer. EMI ne prolonge pas le contrat mais, les liens noués avec Bon Scott permettent à Trust de faire la première partie d'AC/DC lors des concerts français qui suivent la sortie de l'album Powerage. Trust fera même quelques dates en dehors de l'Hexagone avec le groupe australien et une vraie amitié voit le jour entre Bonvoisin et Scott, elle donne même naissance à une ébauche de collaboration puisque Bon Scott traduit quatre chansons de Trust avec pour idée de les intégrer sur des albums futurs d'AC/DC, il demande même à Bernard Bonvoisin de lui écrire quelques chansons pour AC/DC. Malheureusement, la mort prématurée de Bon Scott, en février 1980, met un terme à ces projets. Quoi qu'il en soit, cette tournée permet à Trust de signer un contrat avec CBS qui s'engage pour plusieurs albums. Le premier, L'élite (plus connu sous l'appelation Trust), sort en mars 1979 sur un ton résolument hard-rock. Trust est le premier groupe français à s'engager avec succès sur la voie du hard-rock; Starshooter faisait plutôt du punk rock, Magma était dans le rock progressif, Téléphone et Bijou occupant plutôt le créneau d'un rock classique... L'élite est une véritable critique de la société française des années '70, il s'attarde sur des phénomènes de société comme le chômage (Toujours pas une tune), la répression policière des manifestations (Police-Milice), la lutte des classes toujours bien présente (L'élite ou Bosser huit heures), le sexe (Le matteur), le système qui façonne la population (Préfabriqués)... Malgré le boycott des radios françaises - on ne parle pas encore de radios-libres et il n'y a que quelques radios dites pirates - l'album fait un carton et se vend à 514.000 exemplaires en quelques mois c'est à dire autant que Crache ton venin, le second album de Téléphone qui sort à la même période. EMI dût alors regretté de ne pas avoir misé également sur Trust...

"La seule chose que je sais c'est que je suis dans une cellule dont on ne s'évade pas"

Fort de ce succès, Trust se remet au travail. Bernard Bonvoisin est marqué par un fait d'actualité, le 2 novembre 1979 Jacques Mesrine est abattu par la police lors d'un guet-apens en plein Paris, Porte de Clignancourt. Le chanteur de Trust s'intéresse alors à la vie de l'ennemi public n° 1 et lit son autobographie L'instinct de mort, écrite pendant son incarcération au Quartier de Haute Sécurité de Fleury-Mérogis et publiée en février 1977. Après avoir été transféré à La Santé, Mesrine parvient à s'évader, le 8 mai 1978, avec François Besse et Carman Rives. Commence alors une vie de cavale faite de braquage, de planques, d'enlèvements contre rançon et de séjour hors France notamment avec sa nouvelle compagne, Sylvie Jeanjacquot. Mesrines sait que son histoire ne s'arrêtera que dans un bain de sang, la seule incertitude est le moment. Aussi enregistre-t-il une cassette à l'attention de sa compagne avec quelques mots qui resteront célèbres. Une parole prémonitoire : "Moi, je suis mort les armes à la main même si, peut-être ça je n'en sais rien, je n'ai pas eu le temps de m'en servir", une parole qui confortera plus tard la police dans la justesse de son intervention qui ne laissa aucune chance au truand : "Il faut dire une chose, si j'avais eu le temps de mettre la mai dessus (ndlr sur son arme), je m'en serai servi", une évocation réaliste de la légende que d'aucuns veulent lui créer : "Certains ont fait de moi un héros, il n'y a pas de héros dans la criminalité" mais aussi une phrase qui laisse clairement entendre qu'il sait comment cela se terminera : "La seule chose que je sais c'est que je suis dans une cellule dont on ne s'évade pas". La vraie prison de Mesrine c'était la criminalité, pas Fleury-Mérogis ou La Santé !

A la fin de L'instinct de mort se trouve un poème écrit par Jacques Mesrine qui évoque les conditions de détention dans les QHS, des conditions qu'il juge dégradantes et qu'il tentera d'ailleurs de dénoncer à travers les médias. Ce poème, Bernard Bonvoisin demande à Norbert Krief de le mettre en musique afin de l'intégrer sur le second album de Trust. Le groupe à le vent en pouper et sort d'une tournée anglaise avec Iron Maiden lorsqu'il entre en studio, à Londres, pour enregistrer Répression. Celui-ci est, probablement, le meilleur album de Trust avec des titres comme Antisocial, une critique de la France de fin de règne de Giscard d'Estaing qui deviendra l'emblème de Trust et qui sera adaptée en anglais par Anthrax, Monsieur Comédie qui dénonce l'asile politique offert par la France à l'Ayatollah Khomeyni, L'instinct de mort qui revient sur la fin de Mesrine et Le mitard, le fameux poème du même Mesrine, mis en musique par Norbert Krief, qui dénonce les conditions de détentions dans les QHS. Répression sort en même temps en France et en Angleterre (toutes les chansons ont été traduites à l'exception de Le mitard que Bonvoisin voulait laisser telle que Mesrine l'avait écrite) et est dédié à Bon Scott, qui est mort étouffé dans ses régurgitations au terme d'une nuit de beuverie intense, alors que Trust était en studio, à Londres. 800.000 exemplaires de Répression sont vendus et l'album est considéré comme l'une des meilleures plaques du rock français.

Bien entendu, on est toujours dans la France de Giscard et Le mitard fait scandale d'autant qu'au vers de l'ennemi public n° 1, Bonvoisin ajoute son nom qu'il hurle à plusieurs reprises dans la chanson qui se conclut par la voix de Mesrine qui dit sa désormais célèbre phrase : "Le seule chose que je sais c'est que je suis dans une cellule dont on ne s'évade pas"...

Trust continue sa route dans le hard-rock made in France jusqu'en 1985 avec quelques références essentielles comme Marche ou Crève, Certitude... Solitude, Les armes aux yeux, Chacun sa haine ou Les notables mais des dissensions surviennent lors d'une tournée en 1984 et chacun part de son côté. Bernard Bonvoisin tente une carrière en solo avant de se tourner vers le cinéma, en tant qu'acteur et réalisateur, et d'écrivain. Norbert Krief, assurément l'un des plus grands guitaristes français, choisit d'accompagner Johnnny Halliday d'abord et Jean-Jacques Goldman ensuite avant de créer un groupe éphémère. Trust se reforme avec d'autres musiciens autour de Bonvoisin et Krief, de manière épisodique, entre 1988 et 2011 sans plus jamais atteindre le niveau de qualité qui fut le sien au début des années '80...

TRUST LE MITARD

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