1955, Little Richard met en boite l'onomatopée la plus célèbre de l'histoire du rock au travers d'une chanson qui fit scandale...

Le rock 'n roll a balbutié ses premières notes dans les années '50 avec des pionniers comme Chuck Berry, Bill Haley, Bo Diddley, Elvis Presley, Eddie Cochran, Buddy Holly, Fats Domino ou encore Little Richard. Parmi ces pionniers, Little Richard fait certainement figure de leader tant il influença cette musique par son approche unique en son genre. Richard est à classer parmi les premiers rebelles du rock, probablement à cause de son homosexualité avouée qui le fit mettre très rapidement au ban de sa famille et de la société puritaine de l'Amérique des fifties. Mais Little Richard est aussi le créateur de quelques standards les plus impérissables du rock 'n roll : Long Tall Sally, Good Golly Miss Molly, Rip it up, Lucille et, bien entendu, Tutti Frutti pour n'en citer qu'une poignée. Richard Pennyman signe son premier contrat avec un label, RCA, en 1951 alors qu'il n'a que 18 ans. Depuis quelques temps déjà il vole de ses propres ailes et subsiste en chantant du gospel dans des fêtes religieuses locales en journée et du rythm 'n blues dans des clubs nettement moins catholiques la nuit. Pour RCA, il met en boite quelques classiques du jump blues, un blues up-tempo qui repose surtout sur le saxophone. Mais, Little Richard n'est pas assez bankable pour RCA qui cesse alors sa collaboration avec le jeune homme qui quitte la Georgie pour tenter sa chance au Texas. Il rejoint, en 1953, le label Peacock qui compte dans son écurie des valeurs sûres du blues comme Memphis Slim, Big Mama Thornton ou Jay McShann. C'est surtout sur scène que Little Richard se fait remarqué. Pianiste virtuose, il se présente avec des tenues extravagantes, une coiffure souvent jugée décadante mais surtout une approche vocale qui détonne... en fait, il crie davantage qu'il ne chante. Suffisamment de caractéristiques qui le font juger indécent par les ligues de morales texanes. En outre, il propose bientôt sur scène, devant des publics de jeunes, une chanson très courte au contenu explicitement sexuel qui ajoute à la colère des ligues de morales. Une chanson au titre - Tutti Frutti - qui ne veut rien dire concrètement et pour lequel toutes les interpréations sont possibles. Un chanteur noir et homosexuel qui crie qu'il a une copine qui sait bien comment l'aimer, qu'elle a un beau cul et qu'on ne peut pas imaginer les choses qu'elle lui fait... comment est-ce possible dans l'Amérique moderne des 1954 ? Peacok ne prend aucun risque avec Little Richard et cesse également toute forme de collaboration.

Alors, Richard migre vers la Californie dont on dit qu'elle est plus ouverte d'esprit. Il y intègre Speciality, une maison de disque indépendante qui se positionne sur le rock 'n roll naissant. S'il existe depuis quelques années, le rock 'n roll nait vraiment en 1954 avec des titres comme Rock around the clock (Bill Haley), That's all right Mama (Elvis Presley), Shake, Rattle and Roll (Big Joe Turner) ou Sexy ways (Hank Ballard & the Midnighters). Lorsqu'il signe chez Speciality, à l'aube de 1955, Little Richard est bien décidé à s'engager uniquement dans la voie du rock. C'est à la Nouvelle Orléans que Spéciality emmène Richard pour une séance d'enregistrement de reprise des premiers standards du rock 'n roll. Le chanteur est entouré des musiciens habituels de Fats Domino mais obtient le droit de jouer lui-même du piano. Dans les premiers jours de septembre, les prises se succèdent avec des résultats qui sont plutôt concluants. L'idée est de retenir les deux meilleurs enregistrement pour sortir un 45 tours. La journée du 9 septembre est chargée, divers essais sont effectués et les musiciens sont chauds. En début se soirée, Robert Blackwell impose une pause à tout le monde. Pour la meubler, Little Richard se remet à son piano et entone ce Tutti Frutti qu'il n'a jamais chanté que sur scène jusqu'à présent. Il y a ajoute une phrase qui ne veut rien dire, une onomatopée sensée repésenter un roulement de batterie qui claque dans l'oreille : Wop bop a loo bop a lop bam boom ! Blackwell est captivé par la musique, par cette phrase qui ne veut rien dire et par l'intensité que Little Richard met dans cette rengaine qu'il reprend en boucle. Mais les paroles sont heurtantes, telles que Little Richard les chante, la fellation n'est même plus une allusion, c'est une évidence ! Le texte contient aussi une allusion à peine voilée à la sodomie puisque dans la version originelle imaginée par Richard, les paroles sont Tutti Frutti, good booty. If it don't fit, don't force it. You can grease it, make it easy (soit Tutti Frutti, beau cul. Si ça ne s'enfile pas, ne force pas. Tu peux lubrifier, ce sera plus facile). Blackwell fait donc édulcorer le texte - notamment le good booty (beau cul) qui ponctue chaque Tutti Frutti qui devient oh rutti et tout la partie qui évoque la sodomie qui disparait - par Dorothy LaBostrie qui est créditée comme co-auteure de la chanson. Les paroles restent néanmoins sexuellement très explicites mais le texte insiste sur le Wop bop a loo bop a lop bam boom qui apparait désormais à chaque refrain... Reste à espérer que cette chanson au contenu osé et au refrain qui ne veut rien dire (Tutti Frutti, oh rutti répété cinq fois et ponctué de Wop bop a loo bop a lop bam boom... cela ne signifie effectivement rien de concret !).

Tutti Frutti sort au mois d'octobre 1955, 2'25'' de rock n' roll pur et survitaminé à la sauce de Little Richard... Le titre cartonne et devient l'emblème de toute la génération rock 'n roll tant dans le public jeune qui s'encanaille au désespoir de leurs parents avec cette musique du diable que parmi les chanteurs de rock pour qui le Wop bop a loo bop a lop bam boom devient un cri de ralliement. Tutti Frutti devient n° 2 des charts dédiés au blues et monte jusqu'à la 17è place des charts généraux malgré un boycott de plusieurs centaines de radios à travers le pays. En mars 1956, Pat Boone, le rocker-crooner qui plait davantage aux familles enregistre une nouvelle version totalement expurgée des allusions sexuelles et la place à la 12è place des charts. Tutti Frutti lance cependant la carrière de Little Richard qui va influencer tout le rock des années '50 pour devenir une musique de rebelles. A la même période, des films comme La fureur de vivre (Nicholas Ray) avec James Dean et Natalie Wood ou L'équipée sauvage (Lazlo Benedek) avec Marlon Brando vont amplifier l'aspect de révolte du rock... La porte au rock revendicatif et protestataire des sixties est entrouverte ! Des chanteurs ou groupes comme Jimi Hendrix, The Rolling Stones, Elton John ou Prince se revendiquent de l'héritage musical de Little Richard qui aura un jour cette phrase laconique pour résumer sa carrière : Elvis may have been the King of rock 'n roll, but I'm the Queen ! (Elvis a peut-êtré été le Roi du Rock 'n roll, mais j'en suis la Reine !). A la fin des années '50, Little Richard est l'une des personnalités les plus influentes de la musique américaine mais il interrompt sa carrière pour devenir pasteur de l'Eglise Adventiste du Septième Jour pendant plusieurs années. Lorsqu'il abandonne cette église et tente de revenir au rock, nous sommes au milieu des années '60 et le rock a bien changé... Jamais plus Little Richard ne retrouvera la gloire qui était la sienne à la fin de la décennie précédente mais il reste aujourd'hui encore une référence inaliénable du rock 'n roll !

Little Richard, Tutti Frutti

Tutti Frutti

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